Entretien publié sur le site Atlantico le 2 janvier
Atlantico : Quels sont les enseignements des mentions annuelles de préjugés sur le racisme et la question raciale dans les médias américains comme le New York Times, le Washington Post, le Los Angeles Times et le Wall Street Journal, selon les données de David Rozado, professeur agrégé à Otago Polytechnic ? Le wokisme a-t-il pris d’assaut les médias et la société américaine sur la question raciale ?
Olivier Vial : À partir de 2010, on constate, en effet, dans la presse américaine une explosion des mentions concernant le racisme, le sexisme, l'homophobie, la transphobie et l'islamophobie, même si tous les médias n’ont pas fait preuve du même emballement. Il n’est pas surprenant de retrouver parmi les plus zélés le Los Angeles Times, le New York Times et le Washington Post ; leur positionnement démocrate expliquant en partie leurs réactions sur ces sujets. Le Wall Street Journal est resté beaucoup plus longtemps réservé.
Il est, par ailleurs, intéressant de noter que les premiers pics de mentions liées au racisme sont antérieurs au mouvement Black Lives Matter. La disparition de George Floyd n'a été en réalité qu'un accélérateur. Cet événement est venu s’inscrire dans une tendance de dénonciation de la montée du racisme qui a précédé ce drame.
Quel bilan tirer des mentions annuelles de préjugés sur le sexisme, l’homophobie, la transphobie dans les médias américains ? Cela a-t-il pu peser au sein de la société américaine en la faisant évoluer ou en imposant certains thèmes dans la campagne présidentielle ?
Toute la question est de savoir si ces mentions et les médias ne sont qu’un indice de la montée du wokisme, ou s'ils en sont le vecteur.
L’explosion de l’apparition de ces différentes mentions s’explique notamment par le fait que le wokisme s’emploie à élargir certaines définitions pour agrandir la communauté des potentielles victimes de l’Homme blanc. Avec la notion de racisme systémique, par exemple, on ne se contente plus de condamner comme auparavant les comportements, les injures et les violences racistes d’un individu, mais on s’attaque au prétendu système de domination invisible qui permettrait au « racisme systémique » de prospérer. Et cela change immédiatement l’échelle des condamnations potentielles !
De nouveaux concepts ont également fait leur apparition comme les micro-agressions, le mégenrage, la « culture du viol ». Ce dernier concept est intéressant car là encore il élargit ce qui est désormais considéré comme de potentielles violences sexistes et sexuelles. Ainsi, Valérie Rey-Robert, autrice du livre “Une culture du viol à la française”, explique que cette culture du viol est un continuum qui commence dès le moment où un homme ouvre la porte à une femme, ou qu’il lui offre des fleurs. La galanterie est ainsi présentée comme la première marche vers de potentielles agressions sexuelles.
La hausse des mentions et des références dans les médias est donc en partie liée à l’élargissement du spectre de ce qui est considéré comme étant une forme de racisme, de sexisme ou de dominations invisibles.
Quelles sont les principales évolutions concernant l’islamophobie et l’antisémitisme dans la presse américaine ? Cela a-t-il pu polariser et cliver la société avec les mouvements de contestation au sein des pays occidentaux autour du conflit au Moyen-Orient ?
Cela a en partie contribué au phénomène, mais l’apparition de ces deux concepts n’a pas débuté au même moment.
L’opposition entre islamophobie et antisémitisme est fondatrice pour les militants woke. La figure du Palestinien est ainsi devenue le symbole de la lutte contre le colonialisme. Cet engagement peut même aller jusqu’à l’absurde. Des mouvements Queer for Palestine tentent, par exemple, d’associer les violences que subissent les Palestiniens à celles que subissent les homosexuels et les transsexuels dans d'autres pays au nom des luttes intersectionnelles, oubliant le sort tragique que le Hamas réserve aux personnes LGBT.
Les médias sont également un vecteur très important du wokisme dans nos sociétés. Plus ces sujets sont relayés, plus ils s’imposent dans nos quotidiens.
Mais, l’une des leçons de l'élection de Trump est d’avoir révélé que ces médias ne sont désormais influents qu’auprès d’une certaine « élite ». Les lecteurs des médias présents dans ces graphiques, notamment de la presse papier, représentent un lectorat assez spécifique : diplômés, issus des grands centres urbains. Cela n’est pas représentatif du quotidien de chaque Américain ou de chaque Français. Les médias finissent par leur imposer une grille de lecture qui se retrouve totalement en décalage avec celle du reste de la population.
Les médias deviennent donc les vecteurs de ces nouvelles idéologies. Ils sont, de plus, partiellement responsables du fossé qui se creuse entre les élites et le reste du peuple. Cette situation a été parfaitement illustrée aux États-Unis. Une partie de la classe politique et médiatique a été aveuglée et n’a pas été en mesure de considérer la possibilité d’une victoire de Donald Trump.
Qu’est-ce que révèlent ces graphiques sur l’emprise du wokisme à travers la société et dans les médias ? Comment expliquer une telle évolution, si rapide et en l’espace de quelques décennies entre les années 2000 à 2020 ? En quoi permettent-ils de mieux comprendre la rapidité de l’assaut du wokisme sur les cerveaux occidentaux ? Qui a pu participer à ce mouvement ?
Cette diffusion s’est accélérée à partir de 2010, mais le mouvement woke a des racines extrêmement profondes et anciennes, comme je l’explique dans la dernière brochure que j’ai publiée.
Quatre vecteurs principaux vont vraiment se développer à partir de cette période-là :
- Les médias mainstream. Le New York Times, le Washington Post et le Los Angeles Times vont connaître une évolution extrêmement woke et l’imposer à une partie de « l’élite » culturelle et politique.
- Les réseaux sociaux et les médias à destination des jeunes. Des plateformes comme Brut, Konbini ont donné une forte visibilité aux concepts woke, convertissant ainsi une partie importante de la jeunesse occidentale.
D’autres vecteurs, plus grand public, ont également eu une forte influence, notamment :
- La fiction. De Netflix à Disney, il y a eu une prise de contrôle de certains créatifs qui ont voulu imposer une vision woke de la fiction.
- Les entreprises. Le rôle et l’influence de ces dernières ont été très importants et déterminants. Aux États-Unis, ce phénomène a été très largement dénoncé. En France, l'index du wokisme en entreprise vient d’être créé, il permet de se rendre compte et de mesurer la pénétration du wokisme dans les grandes entreprises. Ubisoft, par exemple, la firme de jeux vidéos, met à disposition des toilettes non-genrées pour ses salariés ; elle embauche des « sensitive readers » pour rendre les jeux plus woke, elle a également développé le Rise Project pour ses salariés qui s’identifient comme des personnes racisées ou autochtones.
La France est-elle aussi touchée ? Des données similaires auraient-elles pu concerner la France et les médias français ?
La France subit le même phénomène avec un décalage de quelques années, entre cinq à huit ans. Alors que cette influence a débuté dès les années 2010 aux États-Unis, des graphiques similaires auraient pu être réalisés en France à partir des années 2015 ou 2020 pour certains médias comme Libération, Mediapart, Le Monde. À cela s’ajoute la création de nombreux médias militants qui participent à la diffusion de ces concepts.
L’élection de Donald Trump et son arrivée au pouvoir vont-elles être un frein au wokisme ? Va-t-on connaître aux États-Unis et en Europe un recul du wokisme ?
Il est difficile de prédire les conséquences de cette élection au sein de la société. En revanche, le wokisme est désormais une idéologie qui n'avance plus cachée sous les radars du politiquement correct. Il est désormais clairement désigné comme une idéologie. La mobilisation anti-woke ne fait que commencer. Donald Trump a notamment annoncé son souhait qu’il n'y ait plus d'opérations de transition de genre pour les mineurs aux États-Unis.
Il y a également de plus en plus d’entreprises aux États-Unis qui rejettent désormais le wokisme car elles s'aperçoivent que cela n'est pas bon pour leur activité professionnelle et que cela contribue à des tensions inutiles au sein de leurs employés. L’un des vecteurs du wokisme, l’influence des entreprises, est en train de s’enrayer aux États-Unis. Ce revirement pourrait aussi concerner les entreprises françaises, c’est l’un des objectifs affichés par les animateurs de l’Index du wokisme en entreprises.
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