
Par Olivier Vial, directeur du CERU
Philippe Carli a été contraint de démissionner, mardi 28 janvier, du groupe de presse Ebra (Le Dauphiné libéré, Le Progrès, L’Est républicain, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, etc.) qu’il présidait. Son tort ? Avoir « liké » sur les réseaux sociaux des posts appelant à plus de fermeté en matière d’immigration ainsi que certaines déclarations de l’eurodéputée Reconquête Sarah Knafo!
Il devient ainsi le supplicié d’une version 2.0 des procès politiques qu’aiment tant instruire les petits Fouquier-Tinville de la gauche radicale. Cette fois, on ne lui reproche même pas d’avoir tenu des propos de droite ou d’extrême droite, ce qui aurait déjà pu être considéré comme une entorse sérieuse à la liberté d’expression, mais seulement d’avoir « aimé » certaines personnalités qui ont été bannies du cercle de la respectabilité défini par les petits procureurs de Mediapart et du webzine d’extrême gauche Blast. Ces derniers, véritables chiens de garde du politiquement correct, fouinent sur les réseaux sociaux à la recherche de tout écart à la ligne qu’ils défendent. Au moindre tweet non validé, au premier « like » mal placé, ils sonnent l’hallali et la meute des trolls wokes se lance sur le contrevenant. Elle le traque, le menace, harcèle ses proches et ses supérieurs jusqu’à l’isoler en dehors de l’espace social et de toutes responsabilités publiques.
Voilà comment se pratique en France la cancel culture, cette volonté d’effacer de l’espace public tout ce (idées et personnes) qui dérange ces « offensés » professionnels. C’est une façon plus brutale et moins institutionnelle d’imposer le fameux « cordon sanitaire » qu’a mis en place la Wallonie et la RTBF pour éviter toute « propagation » des pensées qui ne seraient pas de gauche. Le pays de Voltaire n’a malheureusement plus de leçons à donner à la Belgique en matière de défense de la liberté d’expression.
Alors que l’aura de la gauche ne cesse de faiblir, cette dernière a bien compris que si elle n’était plus en mesure de convaincre, elle devait désormais s’imposer comme la seule légitime à parler. Pour tenter de garder le beau rôle, elle tente de nous convaincre que sa censure est motivée par la vertu, par la nécessaire résistance face à l’imminence du péril fasciste ; que cette restriction à une liberté fondamentale n’est faite que pour notre bien à tous. On connaît la chanson.
Dans un entretien sur France Inter, le 30 septembre 2020, le philosophe Geoffroy de Lagasnerie avoue que le but « de la gauche, c'est de produire des fractures, des gens intolérables et des débats intolérables dans le monde social ». Il poursuit : « Je suis contre le paradigme du débat, contre le paradigme de la discussion. Je pense que nous perdons notre temps lorsque nous allons dans des chaînes d'info à débattre avec les gens qui sont de toute façon inconvaincables et qu’en fait nous ratifions la possibilité qu'ils fassent partie de l'espace du débat. Je pense qu'effectivement la politique est de l'ordre de l'antagonisme, de la lutte et j'assume totalement le fait qu'il faut reproduire un certain nombre de censures, en vérité, dans l'espace public pour rétablir un espace où les opinions justes prennent le pouvoir sur les opinions qui ne le sont pas. »
Qui définit ce qu’est une opinion juste ? Poser la question, c’est déjà y répondre ; lui et ses amis, évidemment. C’est le privilège exorbitant que s’est accordée la gauche depuis les années 50 et, pour le maintenir, à défaut d’être appréciée, elle doit être crainte. Pour cela, elle a besoin de victimes, mais surtout de faire des exemples. Le PDG d’Ebra est le dernier en date.
Après avoir poussé à sa démission, Blast exulte : « Philippe Carli, limogé pour ses “likes” pro-zemmouristes ». Obtenir le scalp d’un tel homme de presse est la preuve que même les plus puissants et les plus respectés restent vulnérables face aux attaques des militants de la cancel culture. Mark Bray, l’un des théoriciens du mouvement antifa, explique, dans un livre publié en 2018, que si « on ne peut pas toujours changer les croyances de quelqu’un, […] on peut évidemment les rendre trop coûteuses politiquement, socialement, économiquement et parfois même physiquement ».
Il précise même la méthode à suivre, la plus efficace : dénoncer les actions et dévoiler les identités de leurs adversaires. « En anglais, on appelle cela doxing », cela consiste à « publier des informations personnelles sur quelqu’un pour l’intimider ou le faire connaître de tous afin de l’embarrasser, provoquer son licenciement ou toute autre conséquence nuisible ». Il conclut : « Débusquer et faire connaître les fascistes a longtemps été la base de l’antifascisme d’après-guerre, mais internet et les médias sociaux ont démultiplié sa portée. Aujourd’hui, c’est une partie centrale de l’apprentissage chez les fascistes et les antifascistes ».
Cette feuille de route théorisée par l’aile la plus radicale et la plus violente de la gauche est désormais suivie par une grande partie des activistes sur les réseaux sociaux.Toutefois, les victoires de ces derniers ne sont possibles que grâce à la crainte démesurée qu’ils inspirent à certaines entreprises qui sont prêtes à sacrifier leurscadres et la défense de la liberté d’expression pour éviter toute polémique. Ainsi, Philippe Carli a été pris sous le feu croisé des hérauts du politiquement correct de Blast et Mediapart, mais aussi de ceux du Crédit Mutuel, le principal actionnaire du groupe Ebra.
Cette banque, dans un communiqué, a immédiatement salué sa démission en la qualifiant de « décision responsable », visant à « permettre aux rédactions de retrouver leur sérénité » dans un secteur de la presse déjà fragilisé par un contexte économique difficile. Sic !En réalité, le Crédit Mutuel est depuis des années très largement sous l’emprise du politiquement correct, au point de sacrifier la liberté d’expression et la liberté politique.
En 2023, le Crédit Mutuel avait déjà fermé les comptes bancaires du média classé à droite Breizh-info et de l’association féministe identitaire Némésis, ce que rappelle l’Index du Wokisme en Entreprise qui avait, entre autres pour cela, classé en rouge cette entreprise.
Quelques semaines après les commémorations de Charlie Hebdo, une telle soumission de la part d’un grand groupe, mais aussi de la plupart des autres médias, face à ces nouveaux censeurs est très inquiétante. La liberté n’est pas négociable… et elle doit être défendue !
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